Le Bas Saint-Laurent
Comme il est difficile de commencer un récit, il faut trouver le ton juste, l’angle le plus intéressant et il faut se lancer, surtout. Le ciel est nuageux sur Montréal, la musique résonne dans les pièces vides de l’appartement, mon thé au jasmin fume et les écureuils ont enfin cessé de venir sur la terrasse pour piquer les tomates-cerise rougissantes. Tous les paramètres sont réunis pour une fructueuse séance d’écriture. En route.
Sans vouloir être méchante, à Montréal, le Saint-Laurent est un peu décevant, à part à le voir du dessus, c’est-à-dire d’un des trois ponts qui l’enjambent, ça reste un fleuve, plus large que la Seine, mais pas spectaculaire. Mais quand, on part vers l’Est, qu’on le suit vers son estuaire, sa rencontre avec l’Océan, là, il prend une autre dimension. Le Saint-Laurent est l’un des 25 plus grands fleuves de la planète, il draine à lui tout seul 25% des ressources en eau douce du monde, puisqu’il récupère les eaux des grands lacs, soit près de 1 610 000 Km². En lui-même il ne fait que 1140 km de long.
Carte du Bas Saint-Laurent
En langue amérindienne, il s’appelle Magtogoek, ce qui signifie « le chemin qui marche ». C’est Cartier qui l’a baptisé Saint Laurent, puisqu’il l’aurait navigué le 10 août, mais il a longtemps été appelé par les Français, « la grande rivière de Canada ». Lorsqu’on entre dans la région du Bas Saint-Laurent, l’autoroute longe le fleuve, on peut déjà le voir s’élargir, prendre ses aises, devenir maitre du territoire. On peut toujours apercevoir les monts de Charlevoix de l’autre côté, mais par jour de brume, on doit se croire devant l’océan. C’est surement la sensation qu’a dû avoir Cartier, lorsqu’il a remonté le fleuve, lorsqu’il a vu les baleines par centaines venir sur ces rives pour se reproduire, lorsqu’il a gouté aux bruines salées qui aspergeaient son visage, il a dû croire avoir trouvé le « grand passage » vers l’Asie. Il avait trouvé un grand passage, il est vrai, mais pas vers l’Asie, cependant toute la colonisation de l’Amérique du Nord se fera en grande partie par ce fleuve.
Le long de la côte, s'égrainent de petits villages aux maisons de pans de bois blancs, rouges ou bleus, aux pelouses bien entretenues, lieux de villégiature les pieds dans l’eau où on voudrait passer des heures, assis dans un rocking-chair sur le perron, à regarder le soleil descendre à l’Ouest sur l’eau. Nous nous sommes arrêtés à Kamouraska, un des plus jolis qui soit, le nom algonquin du village (et pas japonais comme on pourrait le croire !) veut dire « là où il y a du jonc au bord de l’eau ». L’algonquin est une langue concise comme on peut le remarquer ! Quand le soleil est de la partie, il est vrai que tout est plus beau, mais il faut reconnaître que ce petit village a un charme indéniable, il se dégage de ces rues, ruelles vu la largeur, une paix et une sérénité que rien ne semble pouvoir troubler, les portes vitrées laissent voir l’intérieur des maisons, et la vue splendide sur le fleuve.
C’est décidé quand je serai à la retraite, je m’installe à Kamouraska. A la retraite seulement, car c’est très beau mais y’a pas grand-chose à faire non plus quand on est jeune, par contre, je suis sûre que la proximité du fleuve doit aider pour les rhumatismes !
Juste le temps d’acheter du pain et le fromage le plus cher du monde, fromage de brebis de la région à 13$, un morceau qui bougerait juste une dent creuse, et on reprend la route vers le Bic.
Le Bic, qu’est-ce que c’est ? C’est une marque qui fabrique des stylos, des briquets et des rasoirs, mais c’est aussi un village et surtout un parc régional. Et les seconds n'ont aucun lien avec la première. Et c’est là que nous avons passé nos deux premières nuits en camping. Le parc s’étend de part et d’autre d’un cap, nommé le Cap à l’orignal (y’en a pas !), et offre à la contemplation autant qu’à la promenade de nombreuses baies, des anses et des plages.
Du Bic, je retiendrai le bruit du vent dans les arbres, le miroitement du soleil sur les feuilles des saules argentés, tous ces millions de papillons végétaux, voletant, indéfectiblement amarrés, mais murmurant à nos oreilles l’hymne du voyage. Les grands prés de fleurs sauvages qui ondulent lentement au vent. Toutes ces touches de jaune, de bleu, de rouge, un tapis impressionniste dans lequel on voudrait plonger, s’allonger pour regarder les nuages et les collines recouvertes de sapins qui montent la garde tout autour.
Je me souviendrai de ce point de vue où nous avons pique-niqué (hum, des bons sandwichs à la sardine, vous avez déjà essayé ?!!) qui surplombait les marais salés, où la Bretagne s’allie aux sapins des Vosges pour créer un paysage d’une beauté si simple et en même temps hors du commun.
Des phoques, alanguis sur leurs rochers, comme posés là en attendant que la mer monte.
Toutes les petites plages de galets, de cailloux où les touristes prennent le soleil plus que des bains de mer. J’ai plongé les pieds, mais pas plus haut, finalement on ne va pas se baigner, faire des ricochets est une bien meilleure activité sur une eau aussi plane.
Mais bien vite, le ciel se charge de nuages, le vent redouble. Nous continuons notre avancée sur la côte battue par les vents et les marées, ici les plages sont abandonnées, seulement peuplées de bois flottés déposés là après avoir été ballotés par les vagues. Comme un air de fin du monde, un endroit sorti d'un livre d’aventure, où les naufragés découvrent le havre qui les a sauvé de la tempête mais qui bien vite se transformera en prison.
Et le chemin des contrebandiers qui doit nous mener à l’anse à Mouille-Cul (ce n’est pas moi qui ai inventé le nom, mais j’adore !), qui passe dans la forêt de pins, dans cet enchevêtrement d’arbres brisés, dans cette partie de mikado géante entre ciel et terre, la lumière qui décline créant une atmosphère des plus angoissantes, avec le grondement des vagues au loin qu’on entend se briser sur la plage. Enfin, l’anse au coucher du soleil, les corbeaux sur la plage qui rouspètent d’être dérangés ainsi par de curieux visiteurs emmitouflés dans leur K-Way, car si l’orage n’est pas loin, il approche les poches pleines d’eau, à coup sûr. Et la première vraie confrontation avec ce fleuve qui se fait océan, on n'en voit déjà plus les rives opposées.
La pluie est tombée, c’était notre première pluie du voyage, mais ça n’a pas été la dernière. La Gaspésie est souvent comparée à la Bretagne, je ne suis pas vraiment d’accord, les paysages sont autres, la végétation en Gaspésie est celle du Grand Nord, on n’y verra jamais de palmiers comme ça peut être le cas dans le Golfe du Morbihan par exemple. Et puis les maisons ici sont de bois ou en PVC mais jamais ou très rarement en pierre. Mais en ce qui concerne le temps, c’est sûr qu’il y a certaines ressemblances, une constance dans l’humide dirons-nous. Si je devais donner un titre à ce récit de voyage ça pourrait être La Gaspésie ou la certitude de la pluie.
On a croisé maitre Goupil en cours de route!